Lettre de Robin Renucci à Françoise Nyssen, Ministre de la Culture
Le monde éducatif dont Asylum est issu ne peut que s'inscrire dans le sillage de cette très belle lettre de Robin Renucci. Celle-ci date du 6 février 2018.
Lettre de Robin
RENUCCI à la ministre de la Culture
Madame la ministre de la Culture,
Vous avez convié certain.e.s d’entre nous à la fin de l’automne à un dîner pour parler de nos différentes actions auprès des exilé.e.s qui cherchent actuellement refuge en France. Nous vous avons proposé alors d’organiser une commission dont nous étions prêt.e.s à prendre la charge, afin d’établir un dialogue avec le ministère de l’Intérieur. Nous avons insisté sur la nécessité et l’urgence d’ouvrir ce dialogue entre les artistes, les acteur.trice.s culturel.le.s et le ministère de l’Intérieur, dialogue sans lequel tous nos efforts, tout notre travail en direction des milliers d’éxilé.e.s restent une goutte d’eau dans l’océan des violences qu’ils et elles subissent aujourd’hui sur notre territoire, dans cette France qui pour elles et eux représentait pourtant la patrie des droits de l’homme, une terre d’asile et de refuge, et qui n’est plus aujourd’hui, pour ces femmes, ces enfants et ces hommes, qu’un endroit de violence et de rejet. Notre demande est restée lettre morte.
Vous
avez lancé récemment un appel au milieu culturel et artistique à faciliter aux
éxilé.e.s l’accès à la culture, à développer des ateliers artistiques avec
elles et eux, pour les aider à patienter le long des files d’attentes
administratives. Madame la
ministre, sachez que voici des mois, des années, que nous menons ces actions,
que nous faisons, nous, artistes, acteurs et actrices culturelles, tout ce qui
est en notre pouvoir pour soulager la misère, l’impact des violences subies, à
tous les endroits où nous pouvons agir, que ce soit en tant que
directeur.trice.s de structures culturelles, de lieux de création, que ce soit
en tant qu’artistes. Quels que soient nos moyens, nous sommes des milliers en
France à tenter d’agir avec d’autres citoyen.e.s et des associations qui
luttent quotidiennement, pour aider, soutenir, accompagner ces vies blessées,
ces parcours meurtris, ces frères et sœurs humaines qui ont tout perdu, tout
laissé derrière eux, non pas pour « profiter » des « pavés dorés » de notre
République, mais par nécessité vitale. On ne quitte pas son pays, ceux qu’on
aime, son histoire et sa vie, par envie de confort, mais parce qu’on ne peut
pas faire autrement.
Nous ne menons pas ces actions parce que nous sommes
artistes et gens de culture, nous le faisons, Madame la ministre, parce que
nous sommes avant tout des citoyen.ne.s, qui, comme des milliers d’autres
citoyen.ne.s, de tous bords, de tous milieux, voient en ces exilé.e.s des frères
et sœurs humains en souffrance. Nous le faisons en ayant chaque jour un peu
plus honte de notre pays, de la façon dont ce pays que nous aimons et dont nous
défendons avec fierté et force l’expression culturelle, trahit ses engagements,
sa devise et son histoire, ampute son avenir. Nous le faisons en ressentant de
la honte devant l’étonnement et le désespoir de ces femmes et hommes qui ne
parviennent pas à comprendre que ce soit ça, la France, un pays où on fait la
chasse aux éxilé.e.s, aux réfugié.e.s, où on brutalise des enfants, où on use
de la matraque contre eux, où on détruit les pauvres tentes dans lesquelles se
réfugient des familles, ces tentes posées au milieu de l’hiver glacé sur
l’asphalte de nos grandes villes, au milieu de nos illuminations de Noël.
On ne mène
pas un atelier de théâtre, de danse, d’art plastique, d’écriture, de vidéo,
avec des enfants en exil pour ensuite les remettre dehors dans le froid sans se
soucier de ce qu’ils mangeront le soir et s’ils dormiront dans la rue. On
n’accueille pas des femmes et des hommes à un spectacle ou à un film pour
ensuite les mettre à la porte sans se soucier de la faim et de la peur qui les
tenaillent. On ne monte pas une chorale avec des femmes et des enfants pendant
des mois pour ensuite leur tourner le dos quand ils reçoivent contre toute
attente une injonction de reconduite à la frontière, vers la prison, la faim,
les tortures, le viol ou une mort certaine. Non, Madame la ministre, on ne fait
pas du théâtre ou de la musique avec des femmes, des enfants et des hommes dans
cette situation, en se contentant de leur apporter un peu de la « culture
française ». Et, non, Madame la ministre, on ne leur ouvre pas les portes de
notre culture. Ce sont des rencontres, des échanges permanents, d’une richesse
et d’une complexité infinie, qui nous bousculent autant qu’eux alors. C’est
magnifique, puissant et fragile. Et dans cette rencontre, comme dans toutes
formes d’art véritable, ce qu’on rencontre avant tout c’est l’humain. Chaque
personne que nous rencontrons ainsi est une personne avec sa vie, son parcours,
sa richesse, ses blessures, et pas un numéro ou une statistique. Chaque
personne rencontrée alors devient un frère ou une sœur, et cela nous engage
humainement. Un frère ou une sœur, et encore d’avantage un enfant, on ne le
laisse pas à la rue une fois la rencontre faite. On ne le laisse pas se
débrouiller seul.e devant des policiers qui chargent, qui gazent, devant des
circulaires qui font la chasse à l’homme. Non ! On l’aide comme on peut, on
l’accompagne, on l’héberge, on lui ouvre nos théâtres, nos salles de
répétition, nos maisons, pour le ou la protéger de la rue et de ses violences,
on évite les contrôles de police avec lui ou elle, on le fait ou la fait
changer de domicile en pleine nuit quand on sait qu’il va y avoir une descente
de police, on monte des dossiers, des recours, on le ou la cache, on l’aide à
circuler, à trouver de quoi manger. On noue des solidarités, avec tel.le
policier.e qui vous prévient anonymement qu’un tel va être arrêté, avec tel.le
enseignant.e qui fait l’impossible pour empêcher qu’un enfant soit retiré de
son école, qui passe son temps libre à donner bénévolement des cours de
français, avec telle famille qui va accueillir chez elle un mineur isolé sans
papier et tenter de l’accompagner dans la jungle administrative actuelle, avec
tel médecin, qui va soigner sans rien demander en retour, et surtout pas les «
papiers ».
Aujourd’hui
il ne s’agit pas de faire des ateliers de théâtre ou de dessin. Aujourd’hui,
Madame la ministre, nous luttons contre les pouvoirs publics, contre les
injonctions et les blocages kafkaïens des administrations, contre les
contrôles, contre les refus de protection des mineur.e.s, contre les violences
policières. Aujourd’hui, nous nous retrouvons dans l’obligation morale de
désobéir pour compenser l’indignité d’une politique migratoire parmi les plus
inhumaines de notre histoire contemporaine. Aujourd’hui, nous sommes, nous,
artistes, acteurs et actrices du monde de la culture, en lutte et en résistance
contre l’état français, par solidarité humaine, par fierté d’être de ce pays,
non pas de la France qui rejette et pourchasse, violente et opprime les plus
démuni.e.s, les plus pauvres, celles et ceux qui demandent aide et assistance,
mais la France terre d’asile, la France pays des droits humains, la France
telle que l’ont imaginée ces milliers d’éxilé.e.s, ces milliers de personnes
fuyant la violence sous toutes ses formes et qui trouvent ici une violence
qu’ils ne comprennent pas et qui les terrorise. Nous le faisons aussi parce que
l’histoire nous jugera et que le jugement de nos enfants et de nos petits
enfants sera terrible si nous ne faisons rien.
Aujourd’hui nous sommes devenus, par la force des choses, coupables de délit de solidarité, nous sommes passibles de sanctions pour aider, soutenir, de toutes les manières possibles, des gens en souffrance qui sont pourchassés de manière inique par l’État français.
Aujourd’hui nous sommes devenus, par la force des choses, coupables de délit de solidarité, nous sommes passibles de sanctions pour aider, soutenir, de toutes les manières possibles, des gens en souffrance qui sont pourchassés de manière inique par l’État français.
Aujourd’hui,
donc, Madame la ministre, nous nous dénonçons. Votre appel au milieu de la
culture et de l’art nous permet de nous avancer à la lumière et d’affirmer haut
et clair ce que nous faisons aujourd’hui. Nous sommes fier.e.s et heureux.ses
de vous compter parmi nous, comme résistante à la violence actuelle instaurée
par l’état, car nous comptons sur vous pour aller au bout de la logique de
votre appel. Ainsi nous vous invitons à nous prêter main forte en exigeant
l’ouverture d’un réel dialogue avec le ministère de l’intérieur, d’exiger que
ses circulaires ne viennent pas détruire tout ce que nous tentons de mener jour
après jour, d’exiger au contraire que tous les moyens soient mis en place pour
soutenir l’effort des citoyens et citoyennes qui chaque jour partout dans ce
pays œuvrent pour tenter de suppléer avec leurs faibles moyens aux manquements
criminels de l’État. Nous demandons à l’état d’ouvrir un véritable dialogue
avec la société civile, avec toutes celles et tous ceux qui œuvrent auprès des
réfugié.e.s dans notre pays, pour réfléchir et mettre en œuvre concrètement des
solutions d’accueil.
Nous en appelons à un réveil de la conscience de celles et ceux qui ont été élu.e.s par le peuple face à ce drame humain et sociétal que l’ Etat orchestre à l’intérieur de ses frontières. Nous vous appelons à soutenir nos actions en permettant qu’elles ne soient pas annihilées par des contre-mesures de répression d’État et à peser de tout votre poids pour cela. Si notre appel n’est pas entendu, Madame la ministre, sachez que nous poursuivrons notre action et que nous déclarons à présent nous rendre coupables de délit de solidarité.
Nous en appelons à un réveil de la conscience de celles et ceux qui ont été élu.e.s par le peuple face à ce drame humain et sociétal que l’ Etat orchestre à l’intérieur de ses frontières. Nous vous appelons à soutenir nos actions en permettant qu’elles ne soient pas annihilées par des contre-mesures de répression d’État et à peser de tout votre poids pour cela. Si notre appel n’est pas entendu, Madame la ministre, sachez que nous poursuivrons notre action et que nous déclarons à présent nous rendre coupables de délit de solidarité.
Premièr.e.s signataires :
David Bobée, metteur en scène, directeur du Centre Dramatique National de Normandie Rouen
Irina brook, metteuse en scène, directrice du Théâtre National de Nice
Elisabeth Chailloux, comédienne, metteuse en scène, directrice du Théâtre des Quartiers d’Ivry / Centre Dramatique National du Val-de-Marne
Célie Pauthe, metteure en scène, directrice du Centre dramatique national Besançon Franche-Comté
Carole Thibaut, autrice, metteuse en scène, directrice du Centre Dramatique National de Montluçon – Région Rhône-Alpes – Auvergne
Robin Renucci, comédien, metteur en scène, directeur des Tréteaux de France, Centre Dramatique National
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